Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

barrière Saint-Jacques et surtout à la barrière de Fontainebleau. Je t’épargne les détails. Sans doute ils sont coupables, ces pauvres fous, qui versent leur sang, sans savoir même ce qu’ils demandent, mais ceux-là le sont bien plus à mes yeux qui les ont tenus dans l’ilotisme, qui par système ont abruti en eux les sentiments humains, et qui, pour servir les intérêts de leur égoïsme, ont créé une classe d’hommes dont l’intérêt est dans le désordre et le pillage. Laissons ces réflexions, chère amie. Qu’il est cruel de vivre entre deux partis qui nous condamnent à les haïr également ? je ne désespère pas néanmoins ; je verrais l’humanité en lambeaux et la France expirante, que je dirais encore que les destinées de l’humanité sont divines, et que c’est la France qui marchera la première pour leur accomplissement.

Aujourd’hui tout parait fini. On circule dans quelques rues, mais moyennant les précautions les plus minutieuses. Je reçus à l’instant même une lettre de mesdames Ulliac. Elles me chargent de te dire qu’elles n’ont couru aucun danger, et qu’Emma t’écrira à la fin de la semaine. Je le ferai aussi, et suppléerai alors à ce qui manque à ces lignes qui ne pourront t’apprendre que le désordre de ma pensée. Oh ! qui peut voir de tels spectacles sans pleurer sur les victimes, fussent-elles les plus coupables des hommes ! Adieu, chère amie, à quelques jours. Mon Dieu ! que j’ai besoin de penser à toi ! Voulant