Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/207

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de la richesse, et refusent de voir dans de pareils besoins un droit à des sacrifices ? Comment veux-tu que nous désirions le retour de cet âge d’or des agioteurs et des spéculateurs, où les soins mercantiles absorbaient tout, et où l’intelligence était étouffée sous les sacs d’or ?

Voila mes principes, chère amie. Je pense qu’il est temps de détruire le règne exclusif du capital, et de lui associer le travail ; mais je pense aussi qu’aucun des moyens d’application n’est encore trouvé, qu’aucun système ne les fournira, et qu’ils sortiront tout faits de la force des choses. Tout cela est certes bien loin de la Montagne et de la Terreur. C’est cette foi à l’humanité, ce dévouement à son perfectionnement et par là à son bonheur, que j’appelle la religion nouvelle. C’est au spectacle de cette solennelle et sainte apparition que je désirais te voir assister.

Je suis bien, chère amie, qu’il est des tableaux qui demandent à être vus de loin, et que les révolutions sont de ce nombre. Mais prends garde qu’il n’y ait un prisme entre toi et nous. Quel journal vois-tu ? Ou même vois-tu des journaux français ? Si c’était par hasard le Constitutionnel, je te supplie de ne croire un mot ni des faits, ni des appréciations. Ce journal est devenu une risée par les canards dont il remplit à loisir ses pages. Si c’étaient les Débats, je serais moins fâché. Il est au moins de bon goût, et respecte assez la France pour ne pas inventer des calomnies. Mais tu conçois que ce n’est guère lui qui doit