Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/250

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que je ne l’espérais, et d’une manière si brillante, si heureuse, que je n’eusse jamais permis à mon imagination elle-même de s’y arrêter… Merci, mon Dieu, de m’avoir donné quelques joies ! Merci surtout d’avoir choisi mon Ernest si cher pour en être l’instrument !… Oh ! pourquoi dois-je passer seule la soirée de ce jour ?

Il m’est bien difficile, mon ami, de te donner un conseil juste, et surtout éclairé, sur la question de savoir si tu dois tenir invariablement à habiter Paris, ou si tu dois accepter une place en province. Il y a un an, mon premier cri eût été certainement : Paris, Paris ! Mais ce qui s’est passé depuis cette époque a nécessairement beaucoup modifié mes idées à ce sujet. La ville qui a fait ou laissé faire ce dont nous venons d’être les témoins, ne peut plus m’inspirer la moindre confiance, la plus légère sécurité. Je crois d’ailleurs, quoique ce soit avec une douleur profonde, je crois, dis-je, qu’elle a connu ses plus beaux jours,… Que la province terrifiée n’accordera plus une si grande force, ni morale, ni matérielle, à celle qui a fait un si triste usage de l’immense ascendant qu’on lui avait laissé prendre. — Donc je prévois que les départements garderont désormais chez eux, autant que possible, ce qu’ils donnaient depuis longtemps à Paris, et puiseront dans ce principe une plus grande dose de vie… Je n’ose dire ni oui ni non jusqu’à ce que tu aies pris quelques avis encore et que tu me les aies communiqués.