Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/255

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nerais pas, je ne te le pardonnerais pas à toi-même. Faudra-t-il attendre une réponse à cette lettre ? Non, jamais les maux de l’absence ne m’avaient paru plus cruels.

Il est parfaitement faux, chère amie, que le choléra ait éclaté parmi nous. Quelques cas de choléra sporadique, tel qu’il s’en présente en tout temps, mais qui dans cette circonstance ont attiré davantage l’attention, ont seuls donné occasion à ce bruit. Que nous l’ayons tôt ou tard, c’est assez probable ; mais mon bon tempérament, ma sobriété habituelle, la salubrité de ce quartier, la bonté de la nourriture ici (et ce ne sera pas une des moindres raisons qui m’engageront à ne pas changer de domicile), les précautions que je peux prendre, grâce à Dieu, me mettent dans la position la plus favorable relativement à ce fléau. S’il sévissait d’une manière tout à fait exceptionnelle, je ferais le voyage de Saint-Malo, que maman me supplie de faire immédiatement, et que je m’efforce d’ajourner à Pâques ou au delà par tous les moyens possibles. Confie-toi à ma raison. Notre vie n’a-t-elle pas un double prix, du moment où par l’amitié elle se rattache intimement à celle de l’autre ?

Je ne te parlerai pas cette fois en détail de mes affaires. Tout va bien, très bien même. Je resterai à Paris, comme agrégé suppléant des collèges, et spécialement de ceux de la rive gauche. Ces classes sont bien payées ; j’aurai en outre mes six cents francs ; si un professeur s’absente pour