Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/286

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d’avoir fait tout le contraire ; mais la lui donner avant le temps, c’est pure folie, et nous allons en éprouver les tristes conséquences.

Je continue activement mes thèses : c’est un immense travail et des plus arides ; mais je suis certain qu’il aura du prix au moins aux yeux des personnes qui en seront les juges. Il m’en coûte infiniment de renfermer dans ce cadre étroit mon activité intellectuelle, qui est maintenant à sa plus grande énergie. Les travaux accessoires dont j’entremèle mon œuvre du moment ne me soulagent même pas suffisamment. Que je te voudrais auprès de moi ! Cette pensée me poursuit sans cesse ; elle résume tous les besoins de mon cœur. J’ai éprouvé ces jours-ci une affliction des plus vives. Il vient d’arriver un terrible accident à mon excellent ami Berthelot. Il travaillait cette année au laboratoire de chimie de M. Pelouze ; mais cette ardeur à chercher, qui est le trait de son esprit, ne put se contenter des heures régulières. Il voulut faire dans sa chambre une suite d’expériences fort dangereuses. Après s’être blessé plusieurs fois, et malgré mes supplications (car je connaissais sa maladresse), il s’obstina à continuer. Enfin un accident plus grave que les autres a failli, il y a quelques jours, lui coûter la vie. Il est maintenant rétabli, mais un de ses yeux est presque perdu, et il est bien à craindre que peu à peu cet œil ne s’éteigne entièrement. Cet admirable jeune homme me parlait encore sur son lit de souffrances des découvertes qu’il