Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/324

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moi te dire une fois pour toutes, que, soit que tu attaches ta vie à un autre, soit que tu me la laisses, je ne m’imposerai jamais de devoirs inconciliables avec ma vocation. Voilà des choses comme nous ne nous en étions jamais dites, mais il faut bien à un certain jour arriver à en parler.

Tu me désoles, chère amie, quand tu me répètes sans cesse dans tes lettres que tu n’oses songer à un long avenir. Et pourquoi ? grand Dieu ! Es-tu donc malade ? Dis-le, excellente amie. Mais au nom du ciel, pourquoi regarder aussi tristement l’avenir ? Non, ma bonne Henriette : nous sommes destinés à être heureux ensemble. Sachons attendre ; ne sacrifions pas l’avenir à de faux calculs  ; conservons notre stoïcisme et notre détachement de ce qui n’est que douceur et plaisir. Mais espérons, et surtout aimons-nous sans arrière-pensée. N’assemblons pas par jeu des images entre nous. Certes elles ne peuvent tenir longtemps ; mais n’est-ce pas trop déjà qu’elles aient pu tenir un instant ? Adieu, excellente amie ; une chose au moins sera toujours entre nous à l’abri des malentendus ? c’est notre amitié réciproque. A toi de toute mon âme.

E. RENAN.