Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/358

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figure trop facilement que la liberté est favorable au développement d’idées vraiment originales. Comme on a remarqué que, dans le passé, tout système nouveau est né et a grandi hors la loi, jusqu’au jour où il est devenu loi à son tour, on a pu penser qu’en reconnaissant et légalisant le droit des idées nouvelles à se produire, les choses en iraient beaucoup mieux. Or c’est le contraire qui est arrivé. Jamais on n’a pensé avec moins d’originalité que depuis qu’on a été libre de le faire. L’idée vraie et originale ne demande pas la permission de se produire et se soucie peu que son droit soit ou non reconnu ; elle trouve toujours assez de liberté, car elle se fait toute la liberté dont elle a besoin. Le christianisme n’a pas eu besoin de la liberté de la presse, de la liberté de réunion, pour conquérir le monde. Une liberté reconnue doit être réglée. Or une liberté réglée constitue en effet une chaîne plus étroite que l’absence de lois. En Judée, sous Ponce-Pilate, le droit de réunion n’était pas reconnu, et de fait, en n’en était que plus libre de se réunir, car par là même qu’il n’était pas reconnu, il n’était pas limité. Mieux vaut, je le répète, pour l’originalité, l’arbitraire et les inconvénients qu’il entraîne que l’inextricable toile d’araignée où nous enserrent des milliers d’articles de loi, arsenal qui fournit des armes à toute fin. Notre libéralisme formaliste ne profite réellement qu’aux agitateurs et à la petite originalité, si facile en ce qu’elle déprécie la grande, mais sert