Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/417

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Tout le reste est du plus effroyable mauvais goût. Naples n’a pas eu depuis le xve siècle un seul artiste de quelque valeur. Chose étonnante ! la ville la plus béotienne de l’Italie en fait d’art est celle pour laquelle la nature a été si prodigue. Pour trouver quelque chose de beau, en fait d’art bien entendu, à Naples, il faut aller au Musée, incomparable collection de statues antiques, de peintures de Pompéi, d’Herculanum, de bronzes, de vases, etc., à laquelle l’Europe n’a rien à comparer. Ce béotisme du reste s’explique. Il y a maintenant pour moi trois Italies bien distinctes : celle du Nord, où l’élément intellectuel domine, noble, forte, faite pour l’action et la vie politique, pour la philosophie et la science (Piémont, Lombardie, grandes écoles rationalistes de Padoue, Pavie, Venise, etc.) ; l’Italie du centre (Toscane et Rome), où l’intelligence et la sensation se combinent dans cette belle proportion qui fait l’art et la religion : c’est le pays des arts, assez inhabile à la vie politique et à la philosophie ; l’Italie du Sud, où la sensation domine tout à fait, et étouffe tout le reste. C’est le pays du plaisir, rien de plus. En ce pays, on n’a jamais fait que jouir, depuis Tibère, Baïa, Caprée, jusqu’à nos jours. Jamais une noble pensée n’a germé sur ce sol ; jamais on ne s’y est préoccupé du beau idéal et du vrai ; se laisser aller au courant de cette enivrante nature. J’ai merveilleusement compris cela à Baïa au pied du temple de Vénus Genitrix. Pays ignoble, pays de plaisir ; la jouissance étouffe l’art, comme elle