Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/461

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Je n’ai jamais pensé, ma chère amie, que l’enseignement des collèges m’ouvrît un grand avenir. J’ai pris le titre d’agrégé, d’abord parce qu’il exigeait de moi bien peu de préparation spéciale, puis parce qu’il est toujours rassurant d’avoir derrière soi une planche de sûreté, un pis-aller supportable, puis enfin parce que ce titre est nécessaire pour l’École Normale, pour toute fonction universitaire un peu élevée, et qu’il est d’usage universel qu’on le prenne avant l’agrégation des facultés et même avant le doctorat. Si l’enseignement secondaire était mon recours, en vérité, dans le moment présent, je serais bien à plaindre. On m’écrit de Paris des choses désolantes sur la désorganisation des collèges : le nombre des élèves est réduit de moitié ; les classes supérieures sont désertes depuis la suppression du certificat d’études : il y a une classe de philosophie à Paris qui compte deux élèves ! ! Voilà le chef-d’œuvre de nos législateurs de province, qui, le jour ou Jules Simon se permit de leur dire que pour juger ces questions il fallait être un peu spécial, le prirent comme une injure et lui répondirent : « Nous sommes tous spéciaux. » Et néanmoins, ma chère, tout cela ne m’effraie pas autant que bien d’autres, autant que mes amis les libres penseurs, par exemple, qui font en ce moment de grandes sottises, dont je me lave les mains. Je n’ai jamais craint que l’éducation par le clergé fit une génération de fanatiques : Voltaire et le xviiie siècle sont sortis des collèges des Jésuites et