Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/504

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drait-il que ces miracles fussent un peu bien imaginés  ; au contraire, jamais il n’y en eut de plus mauvais style ni de plus pauvre invention. Que l’art est déjà inférieur dans ce pays, quand on se rappelle la Toscane, l'Ombrie… Venise est certainement un point incomparable : l’art y est pourtant bien moins pur qu’à Pise, Florence, Pérouse, Assise. Ce sont des marins ingénieux, qui ont vu Sainte-Sophie, qui volent çà et là une colonne grecque, un bas-relief antique, et entassant tout cela, plaquant les morceaux contre les morceaux, font Saint-Marc. Combien il y a là moins de spontanéité que dans cet art si pur, si harmonieux, qui s’épanouit de lui-même sur les bords de l’Arno. Et cette école vénitienne… Comment aimer ce réalisme si cru, ces têtes si vulgaires de Titien, si laides du Tintoret, après le ravissant idéal des écoles toscane et pérugine, après la suave et correcte beauté de l’école bolonaise ? En revanche, les souvenirs scientifiques et philosophiques se retrouvent ici à chaque pas, et ont pour moi le plus vif intérêt.

Adieu, ma bien-aimée ; écris-moi, écris-moi, et continue de m’aimer.

Ton ami, et ton frère,
E. RENAN.