Page:Renan - Qu’est-ce qu’une nation ?.djvu/5

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Napoléon Ier, personne probablement ne le pourra dans l’avenir. L’établissement d’un nouvel empire romain ou d’un nouvel empire de Charlemagne est devenu une impossibilité. La division de l’Europe est trop grande pour qu’une tentative de domination universelle ne provoque pas très vite une coalition qui fasse rentrer la nation ambitieuse dans ses bornes naturelles. Une sorte d’équilibre est établi pour longtemps. La France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie seront encore, dans des centaines d’années, et malgré les aventures qu’elles auront courues, des individualités historiques, les pièces essentielles d’un damier, dont les cases varient sans cesse, mais ne se confondent jamais tout à fait.

Les nations, entendues de cette manière, sont quelque chose d’assez nouveau dans l’histoire. L’antiquité ne les connut pas, l’Égypte, la Chine, l’antique Chaldée ne furent à aucun degré des nations. C’étaient des troupeaux menés par un fils du Soleil ou un fils du Ciel. Il n’y eut pas de citoyens égyptiens, pas plus qu’il n’y a de citoyens chinois. L’antiquité classique eut des républiques et des royautés municipales, des confédérations de républiques locales, des empires ; elle n’eut guère la nation au sens où nous la comprenons. Athènes, Sparte, Sidon, Tyr sont de petits centres d’admirable patriotisme ; mais ce sont des cités avec un territoire relativement restreint. La Gaule, l’Espagne, l’Italie, avant leur absorption dans l’em-