Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/109

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II

Au fond, quand je m’étudie, j’ai en effet très peu changé ; le sort m’avait en quelque sorte rivé dès l’enfance à la fonction que je devais accomplir. J’étais fait en arrivant à Paris ; avant de quitter la Bretagne, ma vie était écrite d’avance. Bon gré, mal gré, et nonobstant tous mes efforts consciencieux en sens contraire, j’étais prédestiné à être ce que je suis, un romantique protestant contre le romantisme, un utopiste prêchant en politique le terre à terre, un idéaliste se donnant inutilement beaucoup de mal pour paraître bourgeois, un tissu de contradictions, rappelant l’hircocerf de la scolastique, qui avait deux natures. Une de mes moitiés devait être occupée à démolir l’autre, comme cet animal fabuleux de Clésias qui se mangeait les pattes sans s’en douter. C’est ce que ce