Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/58

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ne portèrent aucune atteinte à son étonnante gaieté ; elle plaisantait encore l’après-midi où elle mourut. Le soir, pour la distraire, je passais une heure avec elle dans sa chambre, sans autre lumière (elle aimait cette demi-obscurité) que la faible clarté du gaz de la rue. Sa vive imagination s’éveillait alors, et, comme il arrive d’ordinaire aux vieillards, c’étaient les souvenirs d’enfance qui lui revenaient le plus souvent à l’esprit. Elle revoyait Tréguier, Lannion, tels qu’ils furent avant la Révolution ; elle passait en revue toutes les maisons, désignant chacune par le nom de son propriétaire d’alors. J’entretenais par mes questions cette rêverie, qui lui plaisait et l’empêchait de songer à son mal.

Un jour, la conversation tomba sur l’hôpital général. Elle m’en fit toute l’histoire.

« Je l’ai vu changer bien des fois, me dit-elle. Il n’y avait nulle honte à y être ; car on y avait connu les personnes les plus respectées. Sous le premier Empire, avant les indemnités, il servit d’asile aux vieilles demoiselles nobles les mieux élevées. On les voyait