Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/72

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elle s’égarait. Des désordres de plus en plus graves se produisaient dans cette organisation forte et qui ne souffrait pas d’être déviée. Le vieux père attribuait à une certaine faiblesse d’esprit ce qui était le résultat des ravages intimes de rêves impossibles en un cœur que l’amour avait percé de part en part.

» Comme un violent cours d’eau qui, rencontrant un obstacle infranchissable, renonce à son cours direct et se détourne, la pauvre fille, n’ayant aucun moyen de dire son amour à celui qu’elle aimait, se rabattait sur des riens : obtenir un instant son attention, ne pas être pour lui la première venue, être admise à lui rendre de petits services, pouvoir s’imaginer qu’elle lui était utile, cela lui suffisait. « Mon Dieu, qui sait ? » pouvait-elle se dire, « il est homme après tout ; peut-être au fond se sent-il touché et n’est-il retenu que par la discipline de son état… » Tous ces efforts rencontrèrent une barre de fer, un mur de glace. Le vicaire ne sortit pas d’une froideur absolue. Elle était la fille de l’homme qu’il respectait le plus ; mais elle était une femme.