Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/80

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dans la faible mesure du possible. Les heures coulaient d’un mouvement lent comme son aiguille ; sa pauvre imagination était soulagée. Et puis elle avait parfois quelque espérance : peut-être se laisserait-il toucher, peut-être une larme lui échapperait-elle en découvrant cette surprise, marque de tant d’amour. « Il verra comme je l’aime, il songera qu’il est doux d’être ensemble. » Elle se perdait ainsi durant des jours dans ses rêves, qui se terminaient d’ordinaire par des accès de complète prostration.

» Enfin le jour vint où le ménage fut complet. Qu’en faire ? L’idée de le forcer à accepter un service, à être son obligé en quelque chose, s’empara d’elle absolument. Elle voulait, si j’ose le dire, voler sa reconnaissance, l’amener par violence à lui savoir gré de quelque chose. Voici ce qu’elle imagina. Cela n’avait pas le sens commun, c’était cousu de fil blanc ; mais sa raison sommeillait, et depuis longtemps elle ne suivait plus que les feux follets de son imagination détraquée.

» On était à l’époque des fêtes de Noël.