Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/87

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et qui l’avait soutenue étant tombée à plat, elle n’existait plus. Son état n’avait rien de violent, c’était un silence morne ; les médecins alors la virent et jugèrent son fait avec discernement.

» Aux assises, la cause fut vite entendue. On ne put tirer d’elle une seule parole. Le broyeur de lin entra, droit et ferme, la figure résignée. Il s’approcha de la table du prétoire, y déposa ses gants, sa croix de Saint-Louis, son écharpe. « Messieurs, » dit-il, « je ne peux les reprendre que si vous l’ordonnez ; mon honneur vous appartient. C’est elle qui a tout fait, et pourtant ce n’est pas une voleuse… Elle est malade. » Le brave homme fondait en larmes, il suffoquait. « Assez, assez ! » entendit-on de toutes parts. L’avocat général montra du tact, et sans faire une dissertation sur un cas de rare physiologie amoureuse, il abandonna l’accusation.

» La délibération du jury ne fut pas longue non plus. Tous pleuraient. Quand l’acquittement fut prononcé, le broyeur de lin reprit ses insignes, se retira rapidement, emme-