Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/221

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esprits et marquaient, en quelque sorte, d’un signe de naissance tous les enfantements populaires. Quiconque aspirait à une grande action sur le peuple devait imiter Élie, et, comme la vie solitaire avait été le trait essentiel de ce prophète, on se représenta « l’homme de Dieu » sous les traits d’un ermite. On se figura que tous les saints personnages avaient eu leurs jours de pénitence, de vie agreste, d’austérités[1]. La retraite au désert devint ainsi la condition et le prélude des hautes destinées.

Nul doute que cette pensée d’imitation n’ait beaucoup préoccupé Jean[2]. La vie anachorétique, si opposée à l’esprit de l’ancien peuple juif, et avec laquelle les vœux dans le genre de ceux des nazirs et des réchabites n’avaient aucun rapport, faisait de toutes parts invasion en Judée. Les esséniens avaient leurs demeures près du pays de Jean, sur les bords de la mer Morte[3]. L’abstinence de chair, de vin, des plaisirs sexuels, était regardée comme le noviciat des révélateurs[4]. On s’imaginait que les chefs de secte

  1. Ascension d’Isaïe, ii, 9-11.
  2. Luc, i, 17.
  3. Pline, Hist. nat., V, 17 ; Epiph., Adv. hær., xix, 1 et 2 ; M. de Saulcy, Voyage autour de la mer Morte, I, p. 142 et suiv.
  4. Daniel, i, 12 et suiv. ; x, 2 et suiv. ; Hénoch, lxxxiii, 2 ; lxxxv, 3 ; IVe livre d’Esdras, ix, 24, 26 ; xii, 51