Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/29

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des témoins peu sûrs, puisqu’ils fournissent souvent des arguments aux deux thèses opposées, et que la figure de Jésus y est modifiée selon les vues dogmatiques des rédacteurs. Pour moi, je pense qu’en de telles occasions, il est permis de faire des conjectures, à condition de les proposer pour ce qu’elles sont. Les textes, n’étant pas historiques, ne donnent pas la certitude ; mais ils donnent quelque chose. Il ne faut pas les suivre avec une confiance aveugle ; il ne faut pas se priver de leur témoignage avec un injuste dédain. Il faut tâcher de deviner ce qu’ils cachent, sans jamais être absolument sûr de l’avoir trouvé.

Chose singulière ! Sur presque tous ces points, c’est l’école de théologie libérale qui propose les solutions les plus sceptiques. L’apologie sensée du christianisme en est venue à trouver avantageux de faire le vide dans les circonstances historiques de la naissance du christianisme. Les miracles, les prophéties messianiques, bases autrefois de l’apologie chrétienne, en sont devenus l’embarras ; on cherche à les écarter. À entendre les partisans de cette théologie, entre lesquels je pourrais citer tant d’éminents critiques et de nobles penseurs, Jésus n’a prétendu faire aucun miracle ; il ne s’est pas cru le Messie ; il n’a pas pensé aux discours apocalyptiques qu’on lui prête sur les catastrophes finales. Que Papias, si bon traditionniste, si zélé à recueillir les paroles de Jésus, soit millénaire exalté ; que Marc, le plus ancien et le plus autorisé des narrateurs évangéliques, soit presque exclusivement préoccupé de miracles, peu importe. On réduit tellement le rôle de Jésus, qu’on aurait beaucoup de peine à dire ce qu’il a été. Sa condamnation à mort n’a pas plus de raison d’être en une telle hypothèse que la fortune qui a fait de lui le chef d’un mouvement messianique et apocalyptique. Est-ce pour ses préceptes moraux, pour le