Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/303

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sente l’obligation de vendre ses biens et de les donner aux pauvres que comme un conseil de perfection, il fait encore cette déclaration terrible : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu[1]. »

Un sentiment d’une admirable profondeur domina en tout ceci Jésus, ainsi que la bande de joyeux enfants qui l’accompagnaient, et fit de lui pour l’éternité le vrai créateur de la paix de l’âme, le grand consolateur de la vie. En dégageant l’homme de ce qu’il appelait « les sollicitudes de ce monde », Jésus put aller à l’excès et porter atteinte aux conditions essentielles de la société humaine ; mais il fonda ce haut spiritualisme qui pendant des siècles a rempli les âmes de joie à travers cette vallée de larmes. Il vit avec une parfaite justesse que l’inattention de l’homme, son manque de philosophie et de moralité, viennent le plus souvent des distractions auxquelles il se laisse aller, des soucis qui l’assiégent et que la civilisation multiplie outre mesure[2]. L’Évangile, de la sorte, a

  1. Matth., xix, 24 ; Marc, x, 25 ; Luc, xviii, 25 ; Évang. des Hébreux, dans Hilgenfeld, Nov. Test. extra canonem receptum, fasc. iv, p. 17. Cette locution proverbiale se retrouve dans le Talmud (Bab., Berakoth, 55 b, Baba metsia, 38 b) et dans le Coran (Sur. vii, 38). Origène et les interprètes grecs, ignorant le proverbe sémitique, ont cru à tort qu’il s’agissait d’un câble (κάμιλος).
  2. Matth., xiii, 22.