Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/35

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tables, de Chartres, de Laon, s’élevèrent sur des illusions du même genre. La Fête-Dieu eut pour cause les visions d’une religieuse de Liége, qui croyait toujours, dans ses oraisons, voir la pleine lune avec une petite brèche. On citerait des mouvements pleins de sincérité qui se sont produits autour d’imposteurs. La découverte de la sainte lance à Antioche, où la fourberie fut si évidente, décida de la fortune des croisades. Le mormonisme, dont les origines sont si honteuses, a inspiré du courage et du dévouement. La religion des druzes repose sur un tissu d’absurdités qui confond l’imagination, et elle a ses dévots. L’islamisme, qui est le second événement de l’histoire du monde, n’existerait pas si le fils d’Amina n’avait été épileptique. Le doux et immaculé François d’Assise n’eût pas réussi sans frère Élie. L’humanité est si faible d’esprit, que la plus pure chose a besoin de la coopération de quelque agent impur.

Gardons-nous d’appliquer nos distinctions consciencieuses, nos raisonnements de têtes froides et claires à l’appréciation de ces événements extraordinaires, qui sont à la fois si fort au-dessus et si fort au-dessous de nous. Tel voudrait faire de Jésus un sage, tel un philosophe, tel un patriote, tel un homme de bien, tel un moraliste, tel un saint. Il ne fut rien de tout cela. Ce fut un charmeur. Ne faisons pas le passé à notre image. Ne croyons pas que l’Asie est l’Europe. Chez nous, par exemple, le fou est un être hors la règle ; on le torture pour l’y faire rentrer ; les horribles traitements des anciennes maisons de fous étaient conséquents à la logique scolastique et cartésienne. En Orient, le fou est un être privilégié ; il entre dans les plus hauts conseils, sans que personne ose l’arrêter ; on l’écoute, on le consulte. C’est un être qu’on croit plus près de Dieu, parce que, sa raison individuelle étant éteinte, on suppose qu’il participe à la