Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/38

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il m’approuverait de ce scrupule. Ce grand homme ne m’eut pas pardonné un portrait tout céleste : il y eût voulu des traits répulsifs ; car sûrement, dans la réalité, il se passa des choses qui nous blesseraient s’il nous était donné de les voir[1].

La même difficulté se présente, du reste, pour l’histoire des apôtres. Cette histoire est admirable à sa manière. Mais quoi de plus blessant que la glossolalie, laquelle est attestée par des textes irrécusables de saint Paul ? Les théologiens libéraux admettent que la disparition du corps de Jésus fut une des bases de la croyance à la résurrection. Que signifie cela, sinon que la conscience chrétienne à ce moment fut double, qu’une moitié de cette conscience créa l’illusion de l’autre moitié ? Si les mêmes disciples eussent enlevé le corps et se fussent répandus dans la ville en criant : « Il est ressuscité ! » l’imposture eût été caractérisée. Mais sans doute ce ne furent pas les mêmes qui firent ces deux choses. Pour que la croyance à un miracle s’accrédite, il faut bien que quelqu’un soit responsable de la première rumeur qui se répand ; mais, d’ordinaire, ce n’est pas l’acteur principal. Le rôle de celui-ci se borne à ne pas réclamer contre la réputation qu’on lui fait. Lors même qu’il réclamerait, du reste, ce serait en pure perte ; l’opinion populaire serait plus forte que lui[2]. Dans le miracle de la

  1. Toutefois, comme en de tels sujets l’édification coule à pleins bords, j’ai cru devoir extraire de la Vie de Jésus un petit volume où rien ne pût arrêter les âmes pieuses qui ne se soucient pas de critique. Je l’ai intitulé Jésus, pour le distinguer du présent ouvrage, lequel seul fait partie de la série intitulée : Histoire des origines du christianisme. Aucune des modifications introduites dans l’édition que j’offre aujourd’hui au public n’atteint ce petit volume ; je n’y ferai jamais de changements.
  2. C’est ainsi que le fondateur du bâbisme ne chercha pas à faire un