Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/384

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cause en danger ! Toutes les grandes choses se font par le peuple ; or, on ne conduit le peuple qu’en se prêtant à ses idées. Le philosophe qui, sachant cela, s’isole et se retranche dans sa noblesse est hautement louable. Mais celui qui prend l’humanité avec ses illusions et cherche à agir sur elle et avec elle ne saurait être blâmé. César savait fort bien qu’il n’était pas fils de Vénus ; la France ne serait pas ce qu’elle est si l’on n’avait cru mille ans à la sainte ampoule de Reims. Il nous est facile à nous autres, impuissants que nous sommes, d’appeler cela mensonge, et, fiers de notre timide honnêteté, de maltraiter les héros qui ont accepté dans d’autres conditions la lutte de la vie. Quand nous aurons fait avec nos scrupules ce qu’ils firent avec leurs mensonges, nous aurons le droit d’être pour eux sévères. Au moins faut-il distinguer profondément les sociétés comme la nôtre, où tout se passe au plein jour de la réflexion, des sociétés naïves et crédules, où sont nées les croyances qui ont dominé les siècles. Il n’est pas de grande fondation qui ne repose sur une légende. Le seul coupable en pareil cas, c’est l’humanité qui veut être trompée.