Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/415

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

autres plutôt que la sienne, et, s’il est vrai que lui-même ait partagé l’illusion de tous, qu’importe, puisque son rêve l’a rendu fort contre la mort, et l’a soutenu dans une lutte à laquelle sans cela peut-être il eût été inégal ?

Il faut donc maintenir plusieurs sens à la cité divine conçue par Jésus. Si son unique pensée eût été que la fin des temps était prochaine et qu’il fallait s’y préparer, il n’eût pas dépassé Jean-Baptiste. Renoncer à un monde près de crouler, se détacher peu à peu de la vie présente, aspirer au règne qui allait venir, tel eût été le dernier mot de sa prédication. L’enseignement de Jésus eut toujours une bien plus large portée. Jésus se proposa de créer un état nouveau de l’humanité, et non pas seulement de préparer la fin de celui qui existe. Élie ou Jérémie, reparaissant pour disposer les hommes aux crises suprêmes, n’eussent point prêché comme lui. Cela est si vrai que cette morale prétendue des derniers jours s’est trouvée être la morale éternelle, celle qui a sauvé l’humanité. Jésus lui-même, dans beaucoup de cas, se sert de manières de parler qui ne rentrent pas du tout dans la théorie apocalyptique. Souvent il déclare que le royaume de Dieu est déjà commencé, que tout homme le porte en soi et peut, s’il est digne, en jouir, que ce royaume, chacun le