Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/419

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fane[1]. La société, n’étant plus sûre de son existence, en contracta une sorte de tremblement et ces habitudes de basse humilité qui rendent le moyen âge si inférieur aux temps antiques et aux temps modernes. Un profond changement s’était, d’ailleurs, opéré dans la manière d’envisager la venue du Christ. La première fois qu’on annonça à l’humanité que sa planète allait finir, comme l’enfant qui accueille la mort avec un sourire, elle éprouva le plus vif accès de joie qu’elle eût jamais ressenti. En vieillissant, le monde s’était attaché à la vie. Le jour de grâce, si longtemps attendu par les âmes pures de Galilée, était devenu pour ces siècles de fer un jour de colère : Dies iræ, dies illa ! Mais, au sein même de la barbarie, l’idée du royaume de Dieu resta féconde. Quelques-uns des actes de la première moitié du moyen âge commençant par la formule « À l’approche du soir du monde… » sont des chartes d’affranchissement. Malgré l’Église féodale, des sectes, des ordres religieux, de saints personnages continuèrent à protester, au nom de l’Évangile, contre l’iniquité du monde. De nos jours même, jours troublés où Jésus n’a pas de plus authentiques continuateurs que

  1. Voir, pour exemple, le prologue de Grégoire de Tours à son Histoire ecclésiastique des Francs.