Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/458

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Juifs entre eux. C’est le sentiment de la nuance qui fait l’homme poli et modéré. Or, le manque de nuances est un des traits les plus constants de l’esprit sémitique. Les œuvres fines, les dialogues de Platon, par exemple, sont tout à fait étrangères à ces peuples. Jésus, qui était exempt de presque tous les défauts de sa race, et dont la qualité dominante était justement une délicatesse infinie, fut amené malgré lui à se servir dans la polémique du style de tous[1]. Comme Jean-Baptiste[2], il employait contre ses adversaires des termes très-durs. D’une mansuétude exquise avec les simples, il s’aigrissait devant l’incrédulité, même la moins agressive[3]. Ce n’était plus ce doux maître du « Discours sur la montagne », n’ayant encore rencontré ni résistance ni difficulté. La passion, qui était au fond de son caractère, l’entraînait aux plus vives invectives. Ce mélange singulier ne doit pas surprendre. Un homme de nos jours a présenté le même contraste avec une rare vigueur, c’est M. de Lamennais. Dans son beau livre des « Paroles d’un croyant », la colère la plus effrénée et les retours les plus suaves alternent comme en un mirage. Cet homme, qui était dans le commerce de la vie d’une grande bonté, de-

  1. Matth., xii, 34 ; xv, 14 ; xxiii, 33.
  2. Matth., iii, 7.
  3. Matth., xii, 30 ; Luc, xxi, 23.