Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/479

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Mais l’esprit qui s’allie à la grandeur morale est celui que les sots pardonnent le moins. En prononçant ce mot d’un goût si juste et si pur : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ! » Jésus perça au cœur l’hypocrisie, et du même coup signa son arrêt de mort.

Il est probable, en effet, que sans l’exaspération causée par tant de traits amers, Jésus aurait pu longtemps rester inaperçu et se perdre dans l’épouvantable orage qui allait bientôt emporter la nation juive tout entière. Le haut sacerdoce et les sadducéens avaient pour lui plutôt du dédain que de la haine. Les grandes familles sacerdotales, les Boëthusim, la famille de Hanan, ne se montraient guère fanatiques que quand il s’agissait de leur repos. Les sadducéens repoussaient comme Jésus les « traditions » des pharisiens[1]. Par une singularité fort étrange, c’étaient ces incrédules, niant la résurrection, la loi orale, l’existence des anges, qui étaient les vrais juifs, ou, pour mieux dire, la vieille loi dans sa simplicité ne satisfaisant plus aux besoins religieux du temps, ceux qui s’y tenaient strictement et repoussaient les inventions modernes faisaient aux dévots l’effet d’impies, à peu près comme un pro-

  1. Jos., Ant., XIII, x, 6 ; XVIII, i, 4.