Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/589

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sainte Thérèse ? Que la médecine ait des noms pour exprimer ces grands écarts de la nature humaine ; qu’elle soutienne que le génie est une maladie du cerveau ; qu’elle voie dans une certaine délicatesse morale un commencement d’étisie ; qu’elle classe l’enthousiasme et l’amour parmi les accidents nerveux, peu importe. Les mots de sain et de malade sont tout relatifs. Qui n’aimerait mieux être malade comme Pascal que bien portant comme le vulgaire ? Les idées étroites qui se sont répandues de nos jours sur la folie égarent de la façon la plus grave nos jugements historiques dans les questions de ce genre. Un état où l’on dit des choses dont on n’a pas conscience, où la pensée se produit sans que la volonté l’appelle et la règle, expose maintenant un homme à être séquestré comme halluciné. Autrefois, cela s’appelait prophétie et inspiration. Les plus belles choses du monde sont sorties d’accès de fièvre ; toute création éminente entraîne une rupture d’équilibre ; l’enfantement est par loi de nature un état violent.

Certes, nous reconnaissons que le christianisme est une œuvre trop complexe pour avoir été le fait d’un seul homme. En un sens, l’humanité entière y collabora. Il n’y a pas de monde, si muré qu’il soit, qui ne reçoive quelque vent du dehors. L’histoire est pleine de synchronismes étranges, qui font que, sans