Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/599

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§ 1. Le début (i, 1-14) nous jetterait tout d’abord dans de violents soupçons. Ce début nous transporte en pleine théologie apostolique, n’offre aucune ressemblance avec les synoptiques, présente des idées fort différentes assurément de celles de Jésus et de ses vrais disciples. Tout d’abord, ce prologue nous avertit que l’ouvrage en question ne peut être une simple histoire, transparente et impersonnelle comme le récit de Marc par exemple, que l’auteur a une théologie, qu’il veut prouver une thèse, à savoir que Jésus est le logos divin. De grandes précautions nous sont donc commandées. Faut-il, cependant, sur cette première page, rejeter le livre tout entier et voir une imposture dans ce verset 14[1], où l’auteur déclare avoir été témoin des événements qui composent l’histoire de Jésus ?

Ce serait, je crois, une conclusion prématurée. Un ouvrage rempli d’intentions théologiques peut renfermer de précieux renseignements historiques. Les synoptiques n’écrivent-ils pas avec la constante préoccupation de montrer que Jésus a réalisé toutes les prophéties messianiques ? Renonçons-nous pour cela à chercher un fond d’histoire en leurs récits ? La théorie du logos, si fort développée dans notre Évangile, n’est pas une raison pour le rejeter au milieu ou à la fin du iie siècle. La croyance que Jésus était le logos de la théologie alexandrine dut se présenter de bonne heure et d’une façon très-logique. Le fondateur du christianisme n’eut heureusement aucune idée de ce genre. Mais, dès l’an 68, il est déjà appelé « le Verbe de Dieu »[2]. Apollos, qui était d’Alexandrie, et qui paraît avoir ressemblé à Philon, passe déjà, vers l’an 57, pour un prédicateur nouveau, ayant des

  1. Comp. Ire épître de Jean, i, 1.
  2. Apoc., xix, 13.