Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/619

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on crut cela, et c’était la doctrine de saint Paul[1]. Mais pour admettre que ce soit vrai, il faut supposer que Jésus savait avec la dernière précision le jour où il mourrait, ce que nous ne pouvons accorder. Les usages d’où est sortie l’eucharistie remontaient donc au delà de la dernière cène, et je crois que notre Évangile est parfaitement dans le vrai, en omettant le récit sacramentel à la soirée du jeudi, et en semant les idées eucharistiques dans le courant même de la vie de Jésus. Le récit eucharistique, dans ce qu’il a d’essentiel, n’est au fond que la reproduction de ce qui se passe à tout repas juif[2]. Ce n’est pas une fois, c’est cent fois que Jésus a dû bénir le pain, le rompre, le distribuer, et bénir la coupe. Je ne prétends nullement que les paroles prêtées à Jésus par le quatrième évangéliste soient textuelles. Mais les traits précis fournis par les versets 60 et suiv., 68, 70-71 ont un caractère original. Nous remarquerons encore plus tard la haine particulière de notre auteur contre Juda de Kerioth. Certes, les synoptiques ne sont pas tendres pour ce dernier. Mais la haine est, dans le quatrième narrateur, plus réfléchie, plus personnelle ; elle revient à deux ou trois endroits, avant le récit de la trahison ; elle cherche à accumuler sur la tête du coupable des griefs dont les autres évangélistes ne parlent pas.

§ 17. Les versets vii, 1-10 sont un petit trésor historique. La mauvaise humeur sournoise des frères de Jésus, les précautions que celui-ci est obligé de prendre, y sont exprimées avec une admirable naïveté. C’est ici que l’explication symbolique et dogmatique est complétement en défaut. Quelle intention dogmatique ou symbolique trouver en ce petit

  1. I Cor., xi, 23 et suiv.
  2. Voir « Vie de Jésus », p. 316 de la présente édition.