Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/622

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ment, dira-t-on, un disciple immédiat ou un traditioniste se rattachant directement à un apôtre ont-ils pu altérer ainsi la parole du maître ? Mais Platon était bien disciple immédiat de Socrate, et cependant il ne se fait aucun scrupule de lui attribuer des discours fictifs. Le « Phédon » contient des renseignements historiques de la plus haute vérité et des discours qui n’ont aucune authenticité. La tradition des faits se conserve bien mieux que celle des discours. Une école chrétienne active, parcourant rapidement le cercle des idées, devait, en cinquante ou soixante ans, modifier totalement l’image qu’on se faisait de Jésus, tandis qu’elle pouvait se souvenir, beaucoup mieux que toutes les autres, de certaines particularités et de la contexture générale de la biographie du réformateur. Au contraire, les simples et douces familles chrétiennes de la Batanée chez lesquelles s’est formée la collection des Λόγια, — petits comités, très-purs, très-honnêtes, d’ébionim (pauvres de Dieu), restés bien fidèles aux enseignements de Jésus, ayant gardé pieusement le dépôt de sa parole, formant un petit monde dans lequel il y avait peu de mouvement d’idées, — pouvaient à la fois avoir très-bien conservé le timbre de la voix du maître, et être fort mal renseignées sur des circonstances biographiques auxquelles elles tenaient peu. La distinction que nous indiquons ici se reproduit, du reste, en ce qui concerne le premier Évangile. Cet Évangile est sûrement celui qui nous rend le mieux les discours de Jésus, et cependant, pour les faits, il est plus inexact que le second. C’est en vain qu’on allègue l’unité de rédaction du quatrième Évangile. Cette unité, je la reconnais ; mais une composition rédigée par une seule main peut renfermer des données de valeur fort inégale. La Vie de Mahomet par Ibn-Hischâm est parfaitement une, et pourtant il y a dans cette Vie des choses