Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/659

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Le dictionnaire des deux écrits est identique ; or, la langue des ouvrages du Nouveau Testament est si pauvre en expressions, si peu variée, que de telles inductions peuvent être tirées avec une certitude presque absolue. L’auteur de cette épître, comme l’auteur de l’Évangile, se donne pour témoin oculaire (I Joh., i, 1 et suiv. ; iv, 14) de l’histoire évangélique. Il se présente comme un homme connu, jouissant dans l’Église d’une haute considération. Au premier coup d’œil, il semble que l’hypothèse la plus naturelle est d’admettre que tous ces écrits sont vraiment l’ouvrage de Jean, fils de Zébédée.

Hâtons-nous de le dire, cependant : ce n’est pas sans de graves raisons que des critiques de premier ordre ont repoussé l’authenticité du quatrième Évangile. L’ouvrage est trop peu cité dans la plus ancienne littérature chrétienne ; son autorité ne commence à percer que bien tard[1]. Rien ne ressemble moins que cet Évangile à ce qu’on attendrait de Jean, l’ancien pêcheur du lac de Génésareth. Le grec dans lequel il est écrit n’est pas du tout le grec palestinien que nous connaissons par les autres livres du Nouveau Testament. Les idées surtout sont d’un ordre entièrement différent. Nous sommes ici en pleine métaphysique philonienne, et presque gnostique. Les discours de Jésus tels que les rapporte ce prétendu témoin, ce disciple intime, sont faux, souvent fades, impossibles. Enfin l’Apocalypse se donne aussi comme l’œuvre d’un Jean, qui ne se qualifie pas, il est vrai, d’apôtre, mais qui s’arroge dans les Églises d’Asie une telle primauté, qu’on ne peut guère manquer de l’identifier avec Jean l’apôtre. Or, quand nous comparons le style et les pensées de l’auteur de l’Apocalypse au style et aux pensées de

  1. Voir Vie de Jésus, introd, p. lviii et suiv. de la présente édition.