Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/68

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ment les récits, de les compléter les uns par les autres. Le pauvre homme qui n’a qu’un livre veut qu’il contienne tout ce qui lui va au cœur. On se prêtait ces petits livrets ; chacun transcrivait à la marge de son exemplaire les mots, les paraboles qu’il trouvait ailleurs et qui le touchaient[1]. La plus belle chose du monde est ainsi sortie d’une élaboration obscure et complétement populaire. Aucune rédaction n’avait de valeur absolue. Les deux épîtres attribuées à Clément Romain citent les paroles de Jésus avec des variantes notables[2]. Justin, qui fait souvent appel à ce qu’il nomme « les Mémoires des apôtres », avait sous les yeux un état des documents évangéliques un peu différent de celui que nous avons ; en tout cas, il ne se donne aucun souci de les alléguer textuellement[3]. Les citations évangéliques, dans les homélies pseudo-clémentines, d’origine ébionite, présentent le même caractère. L’esprit était tout ; la lettre n’était rien. C’est quand la tradition s’affaiblit

  1. C’est ainsi que le beau récit Jean, viii, 1-11, a toujours flotté sans trouver sa place fixe dans le cadre des Évangiles reçus.
  2. Clem. Epist., I, 13 ; II, 12.
  3. Τὰ ἀπομνημονεύματα τῶν ἀποστόλων, ἃ καλεῖται εὐαγγελία. (Ces derniers mots sont suspects d’interpolation.) Justin, Apol. I, 16. 17, 33, 34, 38, 45, 66, 67, 77, 78 ; Dial. cum Tryph., 10, 17, 41, 43, 51, 53, 69, 70, 76, 77, 78, 88, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 111, 120, 125, 132.