Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/89

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rience capitale est celle-ci. Toute personne qui se mettra à écrire la vie de Jésus sans théorie arrêtée sur la valeur relative des Évangiles, se laissant uniquement guider par le sentiment du sujet, sera ramenée dans bien des cas à préférer la narration du quatrième Évangile à celle des synoptiques. Les derniers mois de la vie de Jésus en particulier ne s’expliquent que par cet Évangile ; plusieurs traits de la Passion, inintelligibles chez les synoptiques[1] reprennent dans le récit du quatrième Évangile la vraisemblance et la possibilité. Tout au contraire, j’ose défier qui que ce soit de composer une vie de Jésus qui ait un sens en tenant compte des discours que le prétendu Jean prête à Jésus. Cette façon de se prêcher et de se démontrer sans cesse, cette perpétuelle argumentation, cette mise en scène sans naïveté, ces longs raisonnements à la suite de chaque miracle, ces discours roides et gauches, dont le ton est si souvent faux et inégal[2], ne seraient pas soufferts par un homme de goût à côté des délicieuses sentences qui, selon les synoptiques, formaient l’âme de l’enseignement de Jésus. Ce sont ici évidemment

  1. Par exemple, ce qui concerne l’annonce de la trahison de Judas.
  2. Voir, par exemple, ii, 25 ; iii, 32-33, et les longues disputes des chap. vii, viii, ix.