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BUCOLIQUES


d’eau pure, près de la lampe. Chaque matin je donne un coup de canif à sa tige. Elle qui s’élançait gracieuse, elle ne sera bientôt qu’une naine. Déjà elle perd pied, et le col de sa flûte la serre.

Elle regarde toujours de mon côté d’un œil voilé de multiples paupières.

Ou, si je dis des vers, elle m’écoute, comme une oreille penchée.

Ce soir, sa première feuille tombe, avec le bruit seulement qu’il fallait pour m’avertir. Puis une autre se détache. C’est son automne qui commence.

Elle ne se dépouille qu’à regret, et s’arrête souvent, prise de pudeur.

Il faut que je l’aide, que d’un doigt sensuel, j’écarte ses dessous à peine rosés et que j’aille jusqu’au cœur.

Et le cœur aussi se désagrège.

Longtemps ses parfums lui survivent et flottent, libres, autour de moi.

Des feuilles mortes, j’applique à mon front les plus fraîches, que la chaleur recoquille.

Je mâche mélancoliquement le reste.