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BUCOLIQUES


XV


Il se trouve plus heureux que son frère Gabriel qui s’est loué l’année dernière. Non que les maîtres de Gabriel soient méchants ; ils ne lui rendent pas exprès la vie dure, mais il faut qu’aux époques de labour il se lève chaque matin à deux heures. Il va chercher les bœufs au pré, pour qu’on les attelle à la charrue.

La nuit est noire et le pré loin. Gabriel traverse d’abord avec assurance le village endormi, mais, aussitôt qu’il a dépassé l’auberge, la peur le prend. Ses yeux, pleins de sommeil, distinguent mal, à droite et à gauche, le fossé, les arbres immobiles, le canal muet, la rivière chuchoteuse et, de temps en temps, une borne de la route. Mais ce qui l’impressionne le plus, c’est, quand il arrive au pré, d’ouvrir la barrière grinçante.