Page:Renard - L'Amant de la morte, 1925.djvu/15

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Guillaume

Comment ai-je eu la force de continuer mes recherches à travers ce charnier ? Je ne sais pas ! Les ressources nerveuses sont inépuisables… Enfin, je l'ai reconnue… parmi les morts. On avait transporté son pauvre corps défiguré dans une salle de la gare. On l’avait recouvert d’un drap mortuaire… Tout mon bonheur tenait, sous ce linceul !…

Robert

Tu es sûr ?… C’était elle ?… Tu l’as bien reconnue ?

Guillaume

Oui.

Robert

Son visage ?…

Guillaume

Oh ! bien sûr, je n’ai pas reconnu ses traits… ni son corps… puisqu’elle était écrasée… Elle avait été serrée, paraît-il, entre deux banquettes…

Robert

Oh !

Guillaume

Oui, c’est horrible… Mais, à certains détails, je ne pouvais pas me tromper… Tiens, voilà ce que j’ai retrouvé sur elle.

Robert

Quoi ?

Guillaume, lui montrant plusieurs objets qu’il a pris dans sa poche

Ceci.

Robert

Un porte-cigarettes en or ? Mais cela pouvait appartenir à une autre femme. Si tu n'as trouvé que…

Guillaume

Et cela ?

Robert

Son petit sac !

Guillaume

Tu vois ! Il ne peut pas y avoir de doute. Tu reconnais toi-même que ce sac appartenait à Simone… Elle crispait — là — ses doigts raidis… Il a fallu briser les petits os pour avoir le sac !…

Robert

Ah !

Guillaume

Le lendemain, je suis reparti pour Paris avec le corps de ma pauvre chérie… Je l’ai fait enterrer dans notre caveau, auprès de ma mère. Je n’ai voulu avertir personne…

Robert

Et depuis, qu’as-tu fait ?

Guillaume, exalté

Depuis, je me suis enfermé chez moi. J’y ai connu des heures de révolte, de folie… J’étalais ses robes, ses bijoux, toutes les choses qu’elle a portées. Je les respirais. Et je restais là, des heures, comme un maniaque, comme un fou, à chercher le parfum de son âme, son âme si droite…

Robert

Oui, oui, c’était une adorable créature !

Guillaume

Tu ne peux pas savoir, toi !

Robert

Mais si ! C’est une affreuse perte…

Guillaume

Une perte irréparable !… (Un temps.) Tiens, regarde sa petite glace… Tu sais : cette petite glace qu’elle avait si peur de casser. Elle était là, intacte, — avec ce revolver, que je lui avais donné par précaution, à cause de la villa isolée de là-bas…

Robert, avec une sourde inquiétude

Il est chargé ?

Guillaume, gravement

Oui, il est chargé. Il y a là-dedans de quoi se défendre contre la vie, contre le souvenir, contre la douleur…

Robert

Guillaume !

Guillaume

… Et le jour où je ne pourrai plus la supporter, cette douleur…, ce jour-là… (Il appuie le canon du revolver contre sa poitrine.)

Robert, lui saisissant le poignet et s’efforçant de lui arracher l’arme

Guillaume !

Guillaume, lui résistant

La vie n’est plus possible ! Laisse-moi !

Robert, même jeu

Tu es fou ! Je ne veux pas…