Page:Renard - L'Amant de la morte, 1925.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Simone

Pour vous, peut-être…, parce que moi, vous savez, je suis enchantée de quitter Paris, sa petite pluie, son brouillard gluant, pour ce beau pays sec qui m’attend là-bas. Si je n’avais pas le regret de laisser Guillaume à ce maudit portrait, je partirais le cœur léger.

Robert

Vous êtes égoïste, comme tous les gens heureux.

Simone

Mon Dieu ! que c’est agaçant de vous entendre gémir sans cesse !… Vous avez tout pour être heureux, vous aussi !

Robert, avec amertume

Oui !… (Concentré :) Croyez-vous que j’aie tout, Simone ?

Simone

Il me semble !… Que vous êtes triste, aujourd’hui ! (Changeant de ton :) Eh bien, pour vous dérider, je vais vous faire un cadeau !

Robert

Un cadeau ?

Simone, allant prendre une photographie dans le tiroir d’un meuble

Oui. Tenez : regardez ce que j’ai trouvé tout à l’heure, en rangeant des tiroirs.

Robert

Une photo de l’École !

Simone

Je vous la donne.

Robert

Je vous remercie… Quel vieux souvenir !

Simone

J’étais sûre de vous faire plaisir. Cela remonte à quelle date ?

Robert

1910. Nous faisions partie de l’atelier Lalou, votre mari et moi… Elle est un peu ridicule, cette photo ! Chacun de nous y arbore l’attribut de son talent particulier, ou fait le geste qui symbolise le mieux ses habitudes ou ses manies…

Simone

Pourquoi Guillaume porte-t-il cette couronne de navets ?

Robert

Parce que « navet » et « aquarelle » sont synonymes en argot d’atelier. La famille de votre mari exigeait qu’il devînt architecte et l’avait fourré d’autorité dans l’atelier Lalou. Mais Guillaume ne rêvait déjà que peinture. Cela explique son diadème de navets.

Simone

Et vous, pourquoi allongez-vous les deux mains vers ce petit pâlot qui est assis devant vous, les yeux fermés ?

Robert, rembruni, après une hésitation

Je commençais à m’occuper d’hypnotisme, à cette époque.

Simone, surprise

Et vous n’avez pas continué ?

Robert, même jeu

Si.

Simone

Vous ne me l’avez jamais dit. Guillaume non plus. Le sait-il ?

Robert

Non.

Simone, stupéfaite mais gaiement narquoise

Ça existe donc, l’hypnotisme ? Ça existe vraiment, les tables tournantes, les médiums, les apparitions ? Ah ! Ah ! Voyons, Robert, vous ? Vous tombez dans ce panneau ? (Elle rit.)

Robert

Ne riez pas, ne riez pas. D’abord, je ne vous parle, moi, que d’hypnotisme, et non de spiritisme. Il n’est ici question que du sommeil hypnotique, provoqué par la volonté de l’hypnotiseur, — le sommeil étrange pendant lequel des ordres sont dictés au sujet pour sa conduite future…

Simone

Est-ce possible, allons ?

Robert

Vous voyez combien j’avais raison de garder le silence. Je vous donne ma parole d’honneur que l’hypnotisme n’est pas un simple champ de mystification, et qu’il faut y voir une science, à peine naissante mais authentique, une science dont les profondeurs entrevues nous épouvantent, — une science aux limites insoupçonnables !… Pour ma part, j’ai vu, de mes yeux vu…

Simone, très intéressée

Quoi donc ?