Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/83

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en touchant l’eau, et le petit est loin. Je noue la chaîne, et me penche, poussé dans le dos, sur la margelle. J’ai un instant la tête enveloppée de glace.

Un morceau de ciment se détache, perce des couches vibrantes, emplit le puits de sourdes clameurs. Longtemps je prête l’oreille.

Je me redresse, le front rafraîchi. Je songe soulagé : « Françoise a tué, elle se taira. »

C’est très gentil de sa part. Le reste me regarde. D’abord, je veux qu’elle se remette, et je demanderai pour elle, à ma mère, huit jours, quinze jours de repos. Maman ne me refuse rien. Elle prendra une femme de ménage, en attendant que Françoise se rétablisse. D’ailleurs, s’il faut l’avouer, je pense que maman ne sera pas plus gênante qu’une complice discrète.

Tout de même, j’ai de la veine, et l’affaire aurait pu mal tourner. Mais ne recommence pas, l’ami ! passe pour une fois, hein !

Tranquillisé peu à peu, innocent, je regarde devant, derrière moi. L’allée est propre, en ordre ; mon âme aussi. Je ne compte plus qu’une ou deux inquiétudes menues. Ainsi, je devrai, à moins que je ne trouve un prétexte, boire à table de l’eau du puits, sans dégoût. En outre, quelle attitude aurai-je en présence de Françoise, à notre première rencontre, à notre confrontation ?

Baissera-t-elle les yeux ?

Il est sept heures. Mon père et ma mère s’éveillent et Françoise, épuisée, choisit les mots qu’elle va dire pour qu’on la laisse au lit. Je n’oublierai pas de sitôt