Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/93

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Il s’en alla. Il éprouvait le besoin de marcher vite et droit. Il avait hâte de rentrer à la maison et de retourner sa poche, tous ses amis assemblés.

Il entendait cette exclamation : « Fameux coup ! » et répondait, modeste : « Vous êtes trop aimable, j’ai eu de la chance. Merci. La prochaine fois je ferai mieux ! »

Il se flatta la barbe comme il faisait toujours à chaque contentement. Jamais elle n’avait été plus élastique. Il la soulevait haut, par les deux pointes, et la laissait ensuite retomber, écarter toute sa neige sur sa poitrine d’homme. Les chardonnerets remuèrent. M. Sud en prit un, avec des précautions, et l’examina pour voir comment c’était fait.

Le chardonneret avait la tête rouge, les ailes jaunes et brunes ; l’une d’elles, cassée, pendait. La mobilité de son bec et de ses yeux était l’unique signe de sa souffrance fine. Mais une remarque, entre toutes, frappa M. Sud. Cette miniature d’être ne lui faisait pas l’effet d’une « pièce de gibier ». Il croyait soupeser un fragile objet d’art, fini au point de donner l’illusion de la vie. Il mania les chardonnerets les uns après les autres, et tous le troublèrent par leur effarement menu. Ses impressions tournèrent comme des roues folles. Il s’imagina penaud, et non plus triomphant, sous les regards de ses amis, et il écouta les fous rires des coquettes petites filles, déjà femmes par le don de se moquer.

— Oui, se dit-il, j’ai fait un beau coup. Quelle honte !

Il ralentit le pas. En ce moment, le chardonneret qu’il tenait s’envola, hésita un peu en l’air, étonné