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le docteur lerne, sous-dieu

tient du cauchemar ; en guise de pensée l’obsession s’y obstine. La mienne était une petite phrase impérative : « viens seul et préviens », qui, lutin tenace, harcelait ma solitude, énervée de trépidations et de rapidité.

Pourtant cette injonction bizarre : « viens seul et préviens », deux fois soulignée par mon oncle Lerne dans sa lettre, ne m’avait pas frappé d’abord outre mesure. Mais à présent que m’y conformant — tout seul et après avoir prévenu — je roulais vers le château de Fonval, l’ordre inexplicable s’acharnait, pour ainsi dire, à m’étaler son étrangeté. Et mes yeux d’en poser partout les termes fatidiques, et mes oreilles de les faire sonner dans tous les bruits, en dépit de mes efforts pour chasser l’idée fixe. Voulais-je savoir le nom d’un village ? la plaque indicatrice m’annonçait : « viens seul ». « Préviens », traçait le vol des oiseaux. Et le moteur, infatigable, exaspérant, répétait mille et mille fois : « viens seul, viens seul, viens seul, préviens, préviens, préviens »… Alors, je me demandais pourquoi cette volonté de mon oncle et, n’en pouvant trouver la raison, je souhaitais ardemment l’arrivée qui percerait le mystère, moins curieux en réalité d’une réponse banale sans doute qu’excédé par une question si despotique.

Par bonheur j’approchais, et le pays, de plus en plus familier, me parla si bien d’autrefois que la hantise en vint à se relâcher. — La ville de Nanthel, populeuse et affairée, me retarda, mais au sortir du faubourg