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le péril bleu

le ciel ! une énigme s’ajoutait à ses nombreux mystères, et sa profondeur reculait encore aux yeux de l’homme. — On fermait les demeures bien avant le crépuscule ; et quand la nuit hostile était descendue, on se mettait aux écoutes ; car il avait été convenu que le tocsin sonnerait dans la commune où les Sarvants seraient aperçus. Mais on ne l’entendit jamais qu’au fond des oreilles fiévreuses où le sang tintait sa cloche maladive. — Bien après l’aube, on ouvrait un guichet, un soupirail, puis les fenêtres, enfin la porte.

Quelques-uns restaient séquestrés. D’autres, moins timorés, se contraignaient à sortir. Mais il suffisait d’un frémissement pour qu’ils frémissent ; une porte poussée par un courant d’air les faisait blêmir ; — le vent surtout savait les effrayer. On avait jasé de la brise agitant les marronniers de Mirastel et précédant le « clac » épouvantable ; en sorte qu’un zéphyr passant sur les feuillées leur semblait quelqu’un de méchant qui survenait. Sa caresse les enveloppait de frissons. Ils auraient voulu connaître l’origine du vent et ce que c’est au juste, question qu’ils n’avaient jamais soulevée.

Ce qu’ils redoutaient, à vrai dire, c’était d’être saisis par derrière, dans les mains foudroyantes qu’on apercevait toujours trop tard. C’est pourquoi ils se retournaient constamment. — Taper sur l’épaule d’un camarade, en l’abordant par surprise, était un jeu mortel. À Belley, sur le mail, pendant une partie de boules, un citadin cardiaque tomba raide, parce que son partenaire l’avait touché de la sorte. — Un mercredi, près de Talissieu, le cadavre du garde champêtre fut découvert dans une haie de mûriers. Au cours d’une ronde entre chien et loup, sa blouse s’était accrochée aux épines ; certain d’être harponné par les Sarvants, le pauvre diable s’était débattu ; mais les ronces l’avaient lié de toutes leurs griffes, et l’épouvante l’avait tué. Son visage montrait bien qu’il était mort de peur.

Quoique tout logis fût plein d’habitants, la plupart des bourgades semblaient évacuées. Les rues, par-ci par-là, résonnaient au passage d’un groupe. Quelquefois, dans leur silence et leur vide oppressants, un téméraire, un brave, se glissait le long des murs, avec la