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le péril bleu

phénomène aussi prodigieux à l’aide seulement du vocabulaire familier ?… »

— « N’en doutez pas. »

— « Mais encore, les profanes s’intéresseront-ils à de froids commentaires… »

— « Monsieur ! monsieur ! saisirez-vous jamais ?… Ce que je vous demande, c’est l’histoire d’une famille pendant les Terreurs de mil neuf cent douze ; c’est l’histoire de ma famille ! »

À ces mots qui éveillaient le souvenir de telles surhumaines catastrophes et m’apprenaient enfin la mission grandiose qui m’était réservée, un souffle d’enthousiasme souleva tout mon être.

— « Quoi, monsieur ! vous consentiriez à livrer à la foule…, en détail, les péripéties… intimes… poignantes… »

— « Il le faut », dit gravement M. Le Tellier.

— « Oh ! alors, je lâche Fléchambault ! m’écriai-je. « Vite, monsieur, montrez-moi le dossier ! Je brûle d’entamer la besogne… »

Les papiers s’étalaient déjà sur mon bureau.

On trouvait dans ces liasses toutes les formes de renseignements : lettres, journaux, croquis, notes, procès-verbaux, revues, constats, photographies, télégrammes, etc., soigneusement classés par rang de date, numérotés de 1 à 1046 et répertoriés.

M. Le Tellier feuilleta cette chronique, parcourut les pièces une à une, et fit revenir pour moi le fantôme des heures sinistres.

Elles dépassaient en horreur et en bizarrerie ce que la notion vulgaire de la crise m’avait permis de soupçonner. Amateur d’insolite et scribe de miracles, j’ai connu et divulgué les plus étranges destins. J’ai fréquenté le physicien Bouvancourt, qui pénétra dans l’image du monde reflétée aux miroirs. Un de mes vieux compagnons fut M. de Gambertin, dévoré de nos jours, en pleine Auvergne, par un monstre antédiluvien. J’ai compulsé le testament de ce pauvre X…, lequel vit accourir au rendez-vous d’amour le cadavre de sa maîtresse. J’ai surpris l’existence du docteur Lerne, qui interchangeait les cervelles de ses clients ou de ses victimes et falsifiait