Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
le journal de robert

cette ascension n’était que la première phase du voyage, — que j’allais bientôt parvenir à l’engin où se trouvait la pompe ou l’aimant, — et que cet engin m’emmènerait à travers l’éther, sans doute dans un astre. Car mon arrière-pensée avait toujours été que les Sarvants étaient les habitants d’une planète quelconque, leurs agissements m’ayant toujours paru extra-terrestres, — merveilleux, comme on dit. Aussi je surveillais en haut l’apparition de cet engin, qui ne se montrait pas.

Et je m’élevais toujours. Le disque de la Terre comprenait une étendue immense de pays, déjà beaucoup moins riche en couleurs, et flou. Le Mont Blanc faisait un ressaut éblouissant qui se nivelait de plus en plus. J’avais de beaucoup dépassé sa hauteur.

« Comment ! » pensai-je, « me voici à plus de 4.810 mètres et je n’ai pas froid ! »

J’évalue à 6.000 mètres l’altitude où je me trouvais. La température baissant de 1° par 215 mètres environ, j’aurais dû être couvert de glaçons ; ma respiration aurait dû faire une vapeur épaisse ; j’aurais dû grelotter ; j’aurais dû subir le mal des montagnes, contre lequel j’avais emporté un ballon d’oxygène… Probablement, tout cela allait se produire… J’observai mon souffle, qui devait devenir gêné, accéléré, laborieux, — mon cœur, qui devait précipiter ses coups. Je guettai la sensation de plénitude des vaisseaux, le battement de la carotide. Je m’attendais à saigner du nez d’un moment à l’autre. Ma tête allait me faire mal, certainement. Je luttais d’avance contre l’hébétude des sens, la somnolence, la prostration morale. Il me semblait déjà sentir la soif caractéristique, le désir des boissons froides, — nausées, langue sèche, éructations, douleurs aux genoux, aux jambes, comme après une longue marche, épuisement… — Mais, sauf l’écœurement dû au vertige, rien de tout cela. Aucun des symptômes que j’avais soigneusement étudiés dans les livres.