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le péril bleu

cupidité l’instant de leur progrès où ils pourraient descendre jusqu’aux hommes et les étudier ; peut-être le sous-aérien n’est-il qu’une copie de nos dirigeables, lorgnés dans les longues-vues des Sarvants… Mais cela, je ne le crois pas. Leurs erreurs de classification me prouveraient plutôt qu’ils n’ont pas encore observé le sol où nous vivons. Je parierais que l’air, sous une forte épaisseur, est pour eux une substance non transparente, comme est pour nous la mer ; que leur sol, invisible à nos yeux, est, à leurs yeux, opaque ; et qu’ils ne peuvent distinguer, au travers, au-dessous de lui, ni l’océan d’air qui le supporte, ni le fond terrestre de cet océan.

Je parierais même qu’ils n’ont pas d’yeux. — À quoi des yeux serviraient-ils dans un monde invisible ? — Non : pas d’yeux, et alors tout ce que je viens de dire s’applique au sens qui chez eux remplace la vue. Non : pas d’yeux ! et le jour et la nuit n’influent pas plus sur leur perception du monde extérieur que n’influent sur la nôtre la présence ou l’absence d’odeur. En effet, d’une part, ils ne possèdent pas de lumière artificielle pour s’éclairer la nuit (une telle chose les aurait depuis longtemps fait connaître à l’humanité, et je n’ai pas vu, cette nuit, la moindre lueur), et, d’autre part, ils se dirigent admirablement au fond de leur mer, dans nos ténèbres les plus noires ; ce qui prouve que notre obscurité n’est pas la leur, — n’en est pas une pour eux.

Et si l’on considère que leurs méfaits s’accomplissent plus fréquemment la nuit, il est même possible de prétendre que c’est la nuit qu’ils perçoivent le mieux ; que c’est la nuit qu’ils ont toute la puissance de leurs moyens, et que l’obscurité est aussi favorable à leur sens de direction que la lumière et favorable à notre vue.

Fous que nous sommes, pauvres êtres submergés par l’océan de gaz, nous qui nous croyons les maîtres de