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triomphe de l’absurdité

Est-ce vrai Marie-Thérèse pas revenue ? Répondez suite télégraphiquement avenue Montaigne.

d’Agnès

.

Puis, dans la furie de son impuissance, il se mit à marcher droit devant lui, les yeux fixes, les dents serrées, en se disant que les trois journaux ne pouvaient se tromper sur ce point capital, et qu’en définitive sa misère était plus grande qu’il ne l’avait jamais cru, bien qu’il l’eût crue la plus grande misère de tous les temps.

C’est en regagnant à pied l’hôtel de l’avenue Montaigne que le duc d’Agnès forma la résolution de se tuer. Mentalement, il réalisait la scène ultime de sa vie, depuis la confection du testament jusqu’au coup de revolver final…

Sa sœur guettait son retour. Elle avait lu la Presse. Jamais le duc n’avait senti de bras plus câlins autour de son cou.

Il l’embrassa plus tendrement que de coutume. Il eut, pour ses domestiques, des mots touchants de bienveillance et de tact. Il voulait mourir en bonté, ce qui est la meilleure façon de partir en beauté.

Mlle  Jeanne le surveillait dans l’inquiétude ; et quand on apporta le télégramme prévu, — dont ils savaient, sans l’avoir lu, le texte, — M. d’Agnès eut un sourire si éploré, un regard si profond, que sa sœur, comprenant toute son âme, se détourna pour pleurer.

Le rugissement qu’elle entendit arrêta douloureusement ses sanglots dans un spasme de terreur. Elle fit volte-face, et vit son frère transformé, grandi, poussant des éclats de rire férocement heureux, agitant le télégramme ouvert, et criant enfin, après une seconde de berlue :

— « Jeanne ! Jeanne ! C’est de Tiburce, cette dépêche ! Tiburce a retrouvé Marie-Thérèse ! Tiburce a retrouvé Marie-Thérèse ! Tiburce ! Tiburce ! Il l’a retrouvée !… par hasard !… à Constantinople !… »

Le duc s’effondra sur le tapis, les mains jointes pour on ne sait quelle prière. Il baisait et rebaisait le papier bleu, riait et sanglotait, sanglotait et riait (on ne savait pas quand il riait, on ne savait pas quand il sanglotait)