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le péril bleu

M. Le Tellier n’ose plus lever les yeux de dessus le billet. Il se rappelle certaine affirmation de Mme Monbardeau touchant Marie-Thérèse et le duc d’Agnès. Il compare les deux prétendants : ce malingre petit savant de rien du tout et le sportsman intrépide, juvénile et magnifique, noble de cœur et de lignée, riche d’or et d’esprit, adorable enfin, c’est vrai ! Et dans sa pensée il y a des voix qui chuchotent : « Salut ! Le Tellier. Ta fille sera duchesse. »

Mais on frappe à la porte. Et il tressaille. Cette fois c’est un coup sourd, comme si quelque cadavre en rupture de tombeau était venu heurter le vantail, de ses poings lourds et mous…

Et voilà : les deux causeurs frémissent… Car c’est vraiment une façon de cadavre qui entre, avant que l’on ait dit : « Entrez ! » C’est un homme d’une pâleur terreuse. Ses habits déchirés sont couverts d’immondices, ses chaussures ont marché longtemps sur des cailloux. Il écarquille des prunelles hagardes, et reste là, dans la porte, à grelotter comme un pauvre.

D’abord M. Le Tellier recule. (Cet inconnu est effrayant.) Puis tout à coup il s’élance vers le spectre diurne et le prend dans ses bras doucement, doucement… Car la plus terrible qualité de l’intrus livide, affolé, tremblant, sépulcral, c’est d’être M. Monbardeau, — méconnaissable.

Son beau-frère n’a qu’une idée : Marie-Thérèse est depuis la veille chez son oncle ; quelque chose lui est arrivé.

— « Ma fille… Parle donc ! parle donc ! »

— « Ta fille ?… Il s’agit bien de ta fille ! » articule péniblement le docteur. « Ce sont mes enfants, Henri et sa femme, Henri et Fabienne… Ils ont disparu ! »

M. Le Tellier respire. M. Monbardeau, affalé sur une chaise, poursuit, en larmes :

— « Disparus !… Hier. On ne voulait pas vous le dire… Mais il n’y a plus de doute maintenant… Quelle nuit !… Hier matin, partis tous deux en promenade… au Colombier…, joyeux ! Ils avaient dit : « Nous déjeunerons peut-être là-haut. » Alors, n’est-ce pas, on ne s’est pas préoccupé de leur absence au déjeuner… Et voilà,