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JULES RENARD


qui se recroquevillent, agonisants, qui sont morts, qui piquent le cou et font des hachures dans les oreilles.

Oh ! je n’en fais pas facilement accroire à mon cœur, moi ! Des scrupules montrent le bout du nez, comme des souris peureuses. Ma chatte-mite répugnance les fait sauver,

Espère-t-elle, ma bonne amie, que je vais enfermer sa mèche dans un médaillon et la porter sur ma poitrine, comme un élève des jésuites son scapulaire ?

Je regrette de ne l’avoir pas jetée négligemment dans la boîte aux lettres : un employé des poètes s’en serait glorifié. Il doit exister quelque part des assembleurs de collections pileuses. Tous les goûts, etc. Quand j’étais au collège, j’adressais dans des cornets mes rognures d’ongles à un camarade qui avait l’habitude de se ronger les siens.

Je pourrais en faire aussi un petit pinceau de pot à colle.

Soudain, précipitamment, pour en finir, j’ouvre ma fenêtre ; et, élevant à hauteur du menton l’exemplaire des Fleurs du mal je souffle, d’un seul souffle, sur les cheveux de ma bonne amie.

Ils sont partis, s ’accrochant les uns aux autres, formant touffe, ailés, presque repris de vie, insectes, moins le bourdonnement sonore. Ils se sont envolés dans les intempéries ! Eux disparus, j’ai eu tout de suite la conscience nette que je venais de commettre une petite infamie, et j’ai baisé leur place, oui, la place des cheveux, bien vite, à la dérobée, à l’insu de moi-même, sur la page où, par coïncidence, le poète infernal s’exclame en des