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XII

Le réalisme dans la doctrine d’Aristote. — Aristote combattit la fiction réaliste des Idées en soi, principe des idées données en une conscience. Mais son opinion sur ce point ne lui fut pas un obstacle pour concevoir le tout du monde phénoménal comme l’existence corrélative d’une autre existence, celle de la suprême abstraction réalisée : la Pensée de la Pensée, qui n’a d’objet qu’elle-même, indéterminée et inconditionnée. C’est le Noûs d’Anaxagore, dépouillé de ses attributs et élevé jusqu’à l’Être de Parménide, en qui la pensée et son objet forment un sujet unique.

Aristote l’appelle Acte pur, ce qui n’ajoute rien à sa définition ; il ne lui accorde pas plus d’action sur le monde que Parménide ou Platon n’en attribuaient à l’Être ou au Bien. À plus forte raison en éloigne-t-il la fonction démiurgique. La relation de l’Inconditionné au Conditionné est toute du fait du Conditionné, qui lui-même obéit à des attraits dont la Pensée suprême est l’idéal immuable. Le monde ne descend pas de son principe, il y tend éternellement. Aristote n’a donc point à chercher une origine à l’univers ; il ne peut pas davantage, quoiqu’il soumette sa marche à la finalité d’une manière générale, lui assigner une fin déterminée. C’est un mouvement qui va de la Puissance pure à l’Acte pur, les deux extrêmes de l’existence indéfinie, entre lesquels on ne connaît qu’un court moment de la trajectoire.

La manière platonicienne de comprendre le rapport de l’absolu au relatif, ne permettant pas de rendre un