Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tels que les offre l’expérience. De là le procès à l’infini des phénomènes dans le temps et dans l’espace. Le tourbillon et la nécessité (δίνη καὶ ἀνάγκη) sont, l’un, l’agent universel, et l’autre la loi. Le tourbillon se forme des rassemblements et des transports des atomes, selon qu’ils résultent de la prédominance des masses dans les directions où les lance le choc. La nécessité est l’enchaînement des états successifs. Il faut la distinguer du hasard épicurien, car elle en est proprement le contraire. Mais, dans son ensemble, elle est sans origine : Pour ce qui est toujours, il n’y a pas de principe à demander, disait Démocrite.

Cette conception mécanique de la nécessité, loi unique, ne semble pas moins incompatible que l’idée du hasard, négation de toute loi, avec l’existence d’un ordre mental dont elle ne renferme rien d’analogue. L’atomisme pose au philosophe ce problème renversé : Étant donné que le système atomistique est un produit de la pensée, comment expliquer que la pensée soit elle-même un produit des atomes ? L’identification de la matière et d’un agent capable de s’en représenter les œuvres étant impossible pour un substantialisme multiple et du genre mécanique, Démocrite imagina que les mouvements d’une certaine classe d’atomes, les atomes psychiques, abondamment répandus dans les corps, dans les organes des animaux, et partout dans le monde, constituaient des représentations mentales, des pensées, le matériel de l’intelligence, tout ce qu’on appelle des âmes. C’était donc encore une identité qu’il établissait ainsi, mais entre le sujet mécanique, composé variable, et telles ou telles représentations ; entre les fonctions du mouvement, comme nous dirions aujourd’hui, et les fonctions sensibles et intellectuelles.