Page:Renouvier - Uchronie, deuxième édition, 1901.djvu/27

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d’une part que de l’autre met une fâcheuse séparation d’esprit entre les sexes.

Moi aussi j’étais frappé, dès mon enfance, de la froideur avec laquelle mon père surveillait mon éducation religieuse, et de la direction de morale appelée mondaine que je sentais dans ses préoccupations habituelles. Le respect extraordinaire que sa tendresse grave et la fermeté douce de son caractère toujours serein m’inspiraient pour lui, obtinrent sur moi tout l’effet qu’ils devaient avoir à ce moment. Je regardai donc les enseignements de ma mère et du ministre de notre communion comme des leçons de convenances publiques, ou quelque chose d’approchant, sans bien m’en rendre compte, ni sans en rien témoigner, et je ne sentis pas pour lors l’aiguillon du prosélytisme religieux. Cet état de tranquillité ne devait pas durer.

Aux premiers feux de ma jeunesse, encore que retardés grâce à d’heureuses habitudes de famille, des semences de fanatisme commencèrent à germer dans mon âme. Apparemment ce qui avait transpiré jusqu’à moi du monde et peut-être mon sang avait dû les y déposer. Une ardeur inquiète, qui ne trouvait point son objet naturel et ne pouvait dès lors se satisfaire, me porta vers ces songes d’une autre vie dont l’obsession conduit les hommes à se former un enfer de celle-ci. Car ils promènent la torche sur la terre, en voulant forcer leurs semblables à penser comme eux, afin de se sauver comme eux ; et sinon, à accepter le combat contre eux, jusqu’à la mort, jusqu’au supplice que la foi du plus fort réserve a l’obstination du plus faible. C’est assez dire que la grâce prétendue qui m’envahissait, la sainte fureur de dogmatiser et de persécuter, cette rage d’assurer ce qu’on ne peut savoir, de multiplier les dogmes et d’anéantir quiconque ne les affirme point, ce mal sacré devait difficilement s’arrêter avant de m’avoir conduit jusqu’au catholicisme. Ce n’est pas que les réformés n’eussent donné des exemples terribles du zèle sanguinaire pour Dieu, mais l’organisation de l’Église catholique me semblait tout autrement puissante pour le bien forcé des âmes ; et le dogme aussi me paraissait, dans cette église, avoir quelque chose de plus plein, de plus résolu et comme de plus scientifique dans l’anti-science.